La nécessité logique d'une conclusion démontrée justifierait de voir dans la démonstration la méthode permettant par excellence d'établir la vérité d'un énoncé.
Or, comme nous l'avons vu, les mathématiques reposent sur des axiomes/postulats, qui sont tenus pour vrais, mais eux-mêmes non démontrés - sauf à changer d'axiomatique, mais dans ce cas le problème est reconduit puisque cette nouvelle axiomatique repose elle-même sur des affirmations tenues pour vraies mais non démontrées, etc.
Lors du congrès international de mathématiques de 1900 qui se tient à Paris, dans l'objectif de résorber l'indémontré, le mathématicien allemand Hilbert pose une série de 23 problèmes qu'il soumet, de manière programmatique, à la communauté des mathématiciens et dont un certain nombre demeure encore non résolu à ce jour. Le deuxième de ces problèmes consiste à se demander si l'on peut établir la cohérence de l'arithmétique, c'est-à-dire démontrer que ses axiomes ne sont pas en contradiction entre eux - problème sur lequel reviendront les théorèmes d'incomplétude de Gödel. La résolution de ce problème engage le fondement des mathématiques : peut-on fonder une science qui se définit elle-même comme une axiomatique ?
La démarche de Hilbert est programmatique (il s'agit de donner une orientation aux recherches à venir dans les sciences mathématiques), animée par la conviction d'un progrès en marche, qui n'attend plus que des esprits éclairés s'attèlent à la résolution des problèmes. Nous voyons, dans cet exemple, que ce sont les problèmes bien posés qui permettent que la connaissance progresse.
Plusieurs conceptions des mathématiques coexistent alors :
Le programme de Hilbert se donne pour objet de chercher à échapper au formalisme pur (tous les formalismes se vaudraient, toutes les langues se valant), et de chercher à éliminer toute forme d’incomplétude des mathématiques en les fondant, sans pour autant accepter le présupposé métaphysique d’objets mathématiques ayant une réalité en dehors de l’esprit : Peut-on démontrer qu’il existe une axiomatique où tout est démontrable, y compris les axiomes ?
Mais, à la fin des années 1920, une partie de la communauté internationale des mathématiciens nourrit un certain pessimisme, après les grands espoirs du début du siècle, quant à la possibilité de fonder les mathématiques, qui va de pair avec l'idée que la science ne parviendra certainement jamais à résoudre certains problèmes. Ce pessimisme reprend l'idée, formulée par le physiologiste allemand Emil du Bois-Reymond dans son discours de 1872 Sur les limites de notre compréhension de la nature, que nous ne devons pas nous laisser abuser par le progrès de la science, que le positivisme envisage comme illimité : certaines idées resteront, affirme-t-il alors, irrémédiablement hors de portée de la connaissance humaine, ce que synthétise l'expression latine "Ignoramus et ignorabimus" (nous ignorons, et nous ignorerons toujours). Il y aurait, de ce fait, une certaine vanité dans l'entreprise scientifique : comment, en effet, ne pas se montrer humble devant l'infini de l'univers, quand l'homme n'est qu'un être fini aux capacités limitées ?
Dès lors, l'entreprise de recherche ne butte-t-elle pas sur une limite qui serait, par essence, infranchissable ?
C'est contre ce pessimisme qu'en 1930, dans une allocution incantatoire, Hilbert affirme : "Nous devons savoir, nous saurons !" Or son programme de recherche, complété dans les années 1920 et visant à fonder les mathématiques, conduira bien à "savoir", mais n'apportera cependant pas la résolution escomptée…
Réflexion :
Montrez en quoi la question "pourquoi vouloir fonder les mathématiques ?" pourrait apparaître comme une reformulation possible de la question "pourquoi vouloir la vérité ?". Quelle est cependant la limite de cette reformulation ?
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